CRISE SANITAIRE : PUBLICATION D’UNE ORDONNANCE RELATIVE À LA PROROGATION DES DÉLAIS – QUELLES INCIDENCES EN MATIÈRE D’AUTORISATIONS ENVIRONNEMENTALES OU D’URBANISME ?
Authors : Laura GAZZARIN, Brice CROTTET
Published on :
31/03/2020
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La crise sanitaire exceptionnelle à laquelle est confrontée actuellement la France a amené le législateur et le gouvernement à prendre des mesures d’urgence pour prévenir et amoindrir les conséquences de cette crise sans précédent sur la population et l’économie française.
Pour rappel le décret n°2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19, a interdit jusqu’au 31 mars prochain, le déplacement de toute personne hors de son domicile – à l’exclusion des exceptions limitativement définies par ce décret.
La Loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, votée dans le cadre d’une procédure accélérée et publiée au Journal Officiel du 24 mars dernier, assure une base légale aux mesures déjà prises pour gérer l’épidémie et détermine de nouvelles mesures touchant aux aspects sanitaires, économiques et sociaux de cette crise, qui pourront ainsi être prises par le Gouvernement par voie d’ordonnance pour prévenir les difficultés liées aux mesures de confinement.
C’est donc en application de la loi d’urgence, que 25 ordonnances ont été prises dont l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période.
Cette ordonnance prévoit ainsi les conditions de prorogation des délais qui ne seront pas sans conséquence sur les procédures relatives aux titres d’urbanisme ou aux demandes d’autorisation environnementale en cours notamment au regard des délais d’instruction, du déroulement des enquêtes publiques, ou encore des délais de recours.
Tout d’abord, l’ordonnance instaure un mécanisme général de prorogation des délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré (qui est de deux mois à compter de la publication de la loi d’urgence), soit le 24 juin 2020 conformément aux articles 4 et 22 de la loi d’urgence précitée.
Toutefois, ce mécanisme de prorogation est exclu notamment en matière pénale et de procédure pénale (article 1er).
En outre, l’article 2 de l’ordonnance précise le report de terme et d’échéance comme suit :
« Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois (…) »
Le rapport au Président de la République précise que les délais sont prorogés à compter de la fin de cette période, pour la durée qui était légalement impartie, mais dans la limite de deux mois.
A titre d’exemple, le recours contentieux contre un permis de construire qui aurait dû être accompli pendant la période d’état d’urgence sanitaire sera réputé fait à temps, donc non tardif, dès lors qu’il a été effectué dans le délai de deux mois, légalement imparti pour agir ; délai n’excédant la limite maximale de deux mois fixée par l’ordonnance.
N’entrent cependant pas dans le champ de cette mesure :
- les délais dont le terme est échu avant le 12 mars 2020 : leur terme n’est pas reporté ;
- les délais dont le terme est fixé au-delà du mois suivant la date de la cessation de l’état d’urgence sanitaire : ces délais ne sont ni suspendus, ni prorogés.
Il s’agit notamment des mesures conservatoires, d’enquête, d’instruction, des mesures d’interdiction ou de suspension qui n’ont pas été prononcées à titre de sanction, ainsi que des autorisations, des permis et des agréments.
Cet aspect demeure, de ce point de vue, essentiel pour l’ensemble des autorisations qui auraient pu être atteintes de caducité alors qu’il n’est pas possible – en l’état de crise sanitaire, de les mettre en œuvre.
Tel est en particulier le cas des permis de construire, dont il est impossible d’assurer le début de travaux suffisants de nature à faire obstacle à toute péremption de l’autorisation. Les pétitionnaires pourront dès lors, semble-t-il, être rassurées sur ce point en bénéficiant d’un délai supplémentaire pour assurer un début d’exécution de leurs autorisations d’urbanisme.
En outre, l’ordonnance prévoit que des délais de l’action de l’administration sont suspendus (article 7).
En effet, les délais à l’issue desquels une décision, un accord ou un avis des administrations de l’Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics administratifs, ou des organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, peut ou doit intervenir ou est acquis implicitement et qui n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus jusqu’au 24 juin 2020.
Les mêmes règles s’appliquent aux délais impartis aux mêmes organismes ou personnes pour vérifier le caractère complet d’un dossier ou pour solliciter des pièces complémentaires dans le cadre de l’instruction d’une demande ainsi qu’aux délais prévus pour la consultation ou la participation du public.
Cette mesure de suspension – et non plus de prorogation – permettra ainsi de décaler d’autant l’instruction des autorisations environnementales, ou encore des autorisations d’urbanisme.
S’agissant des autorisations d’urbanisme, les recommandations du Ministre de la cohésion du territoire s’agissant de la continuité des services publics confirment cette suspension générale de leur instruction, en préconisant la fermeture des services urbanisme des communes, dès lors que « le projet de loi d’urgence prévoit une suspension du délai légal de traitement des autorisations d’urbanisme. Ainsi, l’inactivité d’un service ne génèrera pas, au cours de cette période, une décision implicite de la commune » (Ministère de la Cohésion, Continuité des services publics locaux dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, 21 mars 2020).
S’agissant des autorisations environnementales, lorsque des avis sont requis dans le cadre de leur instruction, les délais à l’issue desquels les différentes autorités administratives devaient rendre leur avis sont suspendus jusqu’à la fin de l’état d’urgence.
Ces dispositions permettront également de repousser les délais encadrant l’organisation et l’ouverture des enquêtes publiques (cf. article R.181-36 du Code de l’environnement).
L’article 8 suspend les délais imposés par l’administration pour réaliser des contrôles et des travaux ou pour se conformer à des prescriptions de toute nature, à compter du 12 mars 2020 jusqu’au 24 juin 2020, sauf lorsqu’ils résultent d’une décision de justice.
En matière d’installations classées, il semblerait que les exploitants qui avaient été mis en demeure par l’administration, de se conformer aux prescriptions d’un arrêté préfectoral dans la période d’état d’urgence sanitaire, verront les délais auxquels ils étaient soumis suspendus jusqu’à la fin de cette période.
L’article 9 ouvre néanmoins deux catégories d’exception au principe de suspension de ces délais.
D’une part, un décret pourra fixer les catégories d’actes, de procédures et d’obligations pour lesquels, pour des motifs de protection des intérêts fondamentaux de la Nation, de sécurité, de protection de la santé, de la salubrité publique, de préservation de l’environnement et de protection de l’enfance et de la jeunesse, le cours des délais reprend.
D’autre part, pour les mêmes motifs, un décret peut, pour un acte, une procédure ou une obligation déterminés, fixer une date de reprise des délais à condition d’en informer les personnes concernées.
Enfin, l’article 12 aménage, à compter du 12 mars 2020 et jusqu’au 24 juin 2020, les procédures d’enquête publique relatives à des projets présentant tout à la fois un intérêt national et un caractère d’urgence.
Ainsi, l’autorité compétente pour organiser l’enquête peut, pour toute enquête publique déjà ouverte relative à un tel projet, décider qu’elle se poursuit uniquement par des moyens électroniques dématérialisés.
Toute nouvelle enquête publique relative à un tel projet sera ouverte et conduite uniquement par des moyens électroniques dématérialisés.
Si la durée de l’enquête publique va au-delà du 24 juin 2020, l’autorité qui l’organise peut choisir de l’achever selon les mêmes modalités dématérialisées ou de l’achever selon les modalités de droit commun.
Il convient de noter qu’aucune précision n’est apportée quant à ce qu’il faut entendre par projet d’intérêt national présentant un caractère d’urgence.
De plus, la question reste en suspens sur le sort réservé aux autres enquêtes publiques qui étaient en cours au moment de la déclaration d’état d’urgence.
Si la rédaction de l’article 7 laisse à penser que seuls les délais relatifs à l’organisation et l’ouverture des enquêtes publiques seraient concernés, l’article 3 traite plus généralement des « enquêtes » sans qu’il soit certain que les enquêtes publiques puissent y être rattachées. Seraient plutôt visées les enquêtes de nature administrative.
Le bon sens voudrait qu’au regard de la situation et l’impossibilité de maintenir le déroulement normal de ces enquêtes publiques, elles soient purement suspendues le temps de la crise sanitaire.
Des précisions seront donc grandement nécessaires pour appréhender pleinement l’impact de cette ordonnance.
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